Bus 115 (partie 1)

C'est bizarre là non ?

Fin, ça a toujours été bizarre

En fait, c'est trop grand, démesuré

Y a pas d'échelle adaptée pour évaluer la quantité de tout c'qu'il y a

La population intramuros

Le salaire minimum, le produit intérieur brut

L'indice de masse corporelle, le taux d'acidité du sol

Le nombre de bus 115 et la nature des sentiments, bah non, tout ça, c'est trop grand

Dans cette ville

Y a des histoires éparpillées chaque semaine, collées en dessous de chaque semelle

Et le bus 115 accuse le poids de c'que chacun traîne

Un mélange modeste d'amours avortés, d'obstacles évités, de rêves évidés

Tout est secoué dans les virages comme dans une boule à neige

Tu peux tout lire sur chaque visage

C'est comme compter les nervures d'un tronc pour estimer son âge

On part pour la journée

On forge des artefacts, on nourrit le secteur tertiaire

Tout nous parvient aussi, ça, ça rend ouf

Tout s'affiche dans notre poche, on voit tout c'qu'on rate, tout c'qu'on n'aura pas

C'est injuste ou trop tard, on a loupé l'coche et puis on voit l'reste aussi

Dans un pays qui fout la honte

Qui scrute la tenue des gamines à l'école, trop amples, couvrantes ou bien trop près du corps

On peut pas faire semblant d'pas savoir

De pas avoir eu la notif', bah nan, on sait très bien c'qu'il s'passe

De part et d'autre du périph' ou de l'autre côté de l'océan

Mais l'autre, c'est loin

Et nous c'est déjà tellement grand, ça pèse le poids d'un train

La frustration, l'absence, la bassesse et la beauté

On a tous tout qui s'tient là en puissance, prêt dans l'os

Le héros et le lâche, le menteur et le sage, le vieillard et le gosse

Et on demande : « Tu fais quoi dans la vie ? »

Alors on jette trois-quatre mots clés en pâture

Toujours les mêmes pour donner un, un aperçu, un avant-goût de soi-même parce que y a pas l'temps pour plus

La vérité elle est trop longue

Et puis d'toute façon, y a trop d'monde à cette soirée, dans cette ville et dans ce bus

Moi, c'est pour ça que j'fais l'truc

Que l'soir j'm'ouvre en deux et qu'j'écris des poèmes sur c'que j'crois apercevoir

Au pire, ça fera des traces dans la poussière pour des mystères qu'un jour quelqu'un d'autre percera