Le tricot

Le médecin m’a dit « Vivi, terminé c’est plus de votre âge

Le footing pour vous c’est fini, faudrait voir à tourner la page

Ca vous esquinte tout le squelette, j’vous aime bien mais soyons honnêtes

J’en peux plus d’vous entendre pleurer toutes les s’maines dans mon cabinet

Y’a plein d’activités branchées qui provoquent pas tant de traumas

Le tricot au club des aînés, entre amis c’est plutôt sympa

Faut pas croire qu’à quatre-vingts ans, on court encore comme une lapine

Vivi, j’vous assure il est temps de passer en mode violine »

Je suis restée bouche-bée en l’écoutant me rétrograder

J’suis pas bien sûre qu’il ait compris quand en partant j’lui ai souri

Il m’a dit en posant sa main tout doucement sur mon épaule

« allez courage, tout ira bien, et surtout gardez le contrôle »

Rentrée chez moi j’appelle Nini, Céline Jean-Yves et Marie-No

Je leur explique ce qu’il m’a dit, que j’étais bonne pour le tricot

S’il a encore jamais entendu parler du complot des vieux

Il va certainement regretter d’avoir été si audacieux

On est nombreux faut se méfier, on est en pleine progression

Nous les vieux on a les clés pour vous envoyer sous pression

Jamais pressés toujours souriants, notre force c’est le sang-froid

Tout simplement parce qu’on prend l’temps d’aller à notre cours de yoga

J’ai laissé passer quelques s’maines avant d’retourner consulter

En main, une grosse pelote de laine et des aiguilles à tricoter

Très lentement je me dirige en souriant vers son bureau

Quand je simule un vertige qui lui fait ranger son égo

Je l’entends qui appelle à l’aide il s’égosille le pauvre gamin

Malheureusement les seuls bipèdes qui traînent ici sont mes copains

Pas difficile avec ma laine de donner au beau médecin

Une couleur bleu de méthylène avec des yeux de marcassin

J’lui dis « vas-y maint’nant tricote, c’est une activité sympa

Tu peux la faire avec tes potes, ça changera de la capoeira

Faut bien te dire mon petit gars que c’est pas l’âge qui fait la force

Mais bien la force qui naît de l’âge et qui endurcit son écorce

Alors maintenant en espérant que tu as compris la leçon

Tu vas t’excuser platement et nous promettre pour de bon

Que plus jamais de ta vie de médecin certain de tout savoir

Tu te moqueras des douces folies que veulent encore faire les vieillards »

On est r’parti en trottinant lui faisant signe de la main

Tout seul dans son p’tit cardigan, on aurait dit un gamin

Il m’a souri les yeux rieurs puis s’est levé en murmurant

« faites gaffe quand même à votre cœur, et rev’nez m’voir de temps en temps…. »